Année sainte de l'incarnation:
le témoignage des martyrs
Conférence en la collégiale Notre-Dame-de-Grâce
de Sérignan, le 7 septembre 2000
I. Venchi, O.P. , postulateur général
Mes
chers amis,
Je
bénis Dieu et je vous remercie de tout mon cœur pour cette chance
d'être parmi vous dans cette église, solennelle comme une
cathédrale, pour commémorer l'année sainte 2000 à
la lumière du témoignage des martyrs. En honneur, bien sûr,
du martyr de cette ville Sérignan, Guillaume Courtet : entouré
aujourd'hui encore et heureusement par ses parents et amis.
Moi
qui, permettez-moi de l'avouer, en tant que postulateur des causes des
saints dominicains, ai reçu la grâce d'être le parent
de sa cause de béatification en 1981, et de canonisation en 1987,
en partageant cette paternité avec l'abbé Joseph Estournet,
admirablement dévoué à cette cause.
JUBILÉ
Nous sommes
ici, pour célébrer, une fois de plus, l'année jubilaire
et bimillénaire de l'Incarnation du Fils unique de Dieu. Et c'est
par son Incarnation que s'est réalisée sa passion rédemptrice
sur la croix du Calvaire.
Donc, célébrer
l'année sainte de la fin du XXème siècle,
signifie honorer et adorer Jésus Christ, le grand martyr
ou témoin du Père, dont la croix élevée entre
la terre et le ciel embrasse tout le monde et tous les temps, peuples et
nations, gens du commun et de condition, hommes de toute sainteté
: particulièrement ceux qui ont sacrifié leur sang en communion
avec le sang de Jésus.
TROISIÈME MILLÉNAIRE
Notre
Pape, Jean-Paul II, dans la lettre sur le troisième millénaire
qui s'approche dit : « L'Eglise du premier millénaire est
née du sang des martyrs.[…] En notre siècle les martyrs
sont revenus ; souvent inconnus, ils sont comme les "soldats inconnus"
de la grande cause de Dieu.[…] Le témoignage rendu au Christ
jusqu'au sang est devenu un patrimoine commun aux catholiques, aux
orthodoxes, aux anglicans et aux protestants, comme notait déjà
Paul VI dans son homélie pour la canonisation des martyrs ougandais
(1964) .[…]
L'œcuménisme
des saints, des martyrs est peut-être celui qui convainc le plus.
La voix de la "communio sanctorum" est plus forte que celle des fauteurs
de la division. Le "martyrologium" des premiers siècles a été
le fondement du culte des saints. En proclamant et en vénérant
la sainteté de ses fils et de ses filles, l'Église rendait
un suprême hommage à Dieu même ; dans les martyrs elle
vénérait le Christ, qui était à l'origine de
leur martyre et de leur sainteté. Plus tard s'est développé
l'usage de la canonisation, qui existe encore dans l'église
catholique et dans les églises orthodoxes. Les canonisations et
les béatifications se sont multipliées ces dernières
années. Elles manifestent la vitalité des Églises
locales, qui sont aujourd'hui beaucoup plus nombreuses qu'aux premiers
siècles et qu'au premier millénaire » (Tertio Millenio
Adveniente, n.37).
THÉOLOGIE DU MARTYRE
Le
martyre est bien la façon la plus parfaite de se conformer à
la passion du Christ, qui est à la fois prêtre et victime.
Écoutons la réflexion théologique de Saint Thomas
d'Aquin :
« L'homme
a besoin du sacrifice pour trois motifs.
1°) pour la rémission du
péché, qui le détourne de Dieu, c'est pourquoi l'Apôtre
dit (Hé,5,1) qu'il appartient au prêtre "d'offrir des dons
et des sacrifices pour les péchés".
2°) pour que l'homme
se maintienne dans l'état de grâce et d'union
à Dieu, en qui se trouvent sa paix et son salut. De là, dans
l'ancienne loi, l'immolation de la victime pacifique pour le salut de ceux
qui l'offraient, prescrit par le Lévitique (ch. 3).
3°) pour que l'esprit
de l'homme soit parfaitement uni à Dieu, ce qui se
réalisera dans la gloire. C'est pourquoi, dans l'ancienne loi, on
offrait l'holocauste où tout était brûlé, comme
dit encore le Lévitique (ch.1).
Or, tous
ses bienfaits nous sont venus à travers l'humanité
du Christ. Par elle, en effet, nos pêchés ont été
effacés, selon l'épître aux romains (4,25) : "il s'est
livré pour nos pêchés". Par le Christ encore nous recevons
la grâce qui nous sauve, comme dit l'épître aux Hébreux
"il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent principe de salut
éternel". Par lui enfin nous obtenons la perfection de la gloire,
car, dit l'épître aux Hébreux (19,19) : "voici que
nous possédons, par le sang de Jésus, l'accès assuré
dans le sanctuaire" c'est à dire dans la gloire céleste.
Le
Christ, en tant qu'homme, fut donc non seulement prêtre, mais
victime
parfaite, étant à la fois victime pour le péché,
victime pacifique et holocauste » (Somme Théologique III,
2).
L'Incarnation est alors
un mystère de réconciliation, par Jésus Christ, prêtre
et victime, entre Dieu et l'homme. Le martyre aussi donne au Chrétien
la possibilité, dirais-je mieux, le privilège d'accomplir
tout parfaitement, c'est-à-dire au plus haut niveau, l'exercice
du sacerdoce commun par les sacrements.
Dans
la Constitution dogmatique "Lumen Gentium" (N°10) du concile Vatican
II, nous lisons que : « le sacerdoce commun des fidèles
et le sacerdoce ministériel ou hiérarchique, bien qu'il y
ait entre eux, une différence essentielle et non seulement de degré,
chacun selon son mode propre participe de l'unique sacerdoce du Christ
», qui, on l'a dit, est à la fois prêtre et victime.
On
voit bien pourtant comment les martyres, en tant que baptisés,
sont plus encore « tenus de professer devant les hommes la foi
que par l'Église ils ont reçu de Dieu ». En tant
que confirmés « enrichis d'une force spéciale
de l'Esprit Saint » ils ont plus fortement « obligés
tout à la fois de répandre et de défendre la foi par
la parole et par l'action, en vrais témoins du Christ. Participant
au sacrifice eucharistique, source et sommet de toute la vie chrétienne,
ils offrent à Dieu la victime divine et s'offrent eux-mêmes
avec elle » (N°.11). Les martyrs ainsi accomplissent en soi-même
une parfaite offrande de victime.
LES MARTYRS DU XXème
SIÈCLE
On
vient de célébrer le 1er octobre 2000, la canonisation
des 120 martyrs en Chine, dont la plupart (86) ont été
tués au mois de juillet de l'Année Sainte 1900 et 2 en 1930.
Une poignée choisie parmi la vaste moisson d'à peu près
30 000 chrétiens pendant l'insurrection politique (et antireligieuse
aussi) des Boxers. Pour la France, il y a 4 missionnaires jésuites.
En même temps le Pape a canonisé 2 prêtres de la société
des Missions Étrangères de Paris et un Lazariste qui, bien
qu’immolés aux XIXème siècle, avaient été
béatifiés avec d'autres chinois en 1900 : comme une grande
ouverture de notre siècle. « À la fin du deuxième
millénaire – écrit Jean-Paul II - l'Église
est encore devenue l'Église des Martyrs » (T.M.A.,
N°.37).
La
nombreuse cohorte des confesseurs de la foi chrétienne, tout au
long de ces derniers 100 ans, forme un défilé qui s'étend
d'Europe en Amérique, en Afrique, en Asie, en Océanie : une
quantité presque impossible à calculer, comme la multitude
de ceux dont parle le livre de l'Apocalypse autour de l'Agneau de Dieu
(7, 9-10; 14, 4-5).
De toute manière
je souhaite donner la liste, concernant notre siècle, des 386
qui ont été déjà béatifiés et
des 125 canonisés.
1.
Martyrs de la persécution nazi
S. Maximilien Kolbe (1941), polonais, franciscain
S. Edith Stein (1942), allemande, carmélite, co-patronne de
l’Europe.
B. Otto Neururer (1940), autrichien, prêtre
B. Titus Brandsma (1942), hollandais, carmélite
B. Michel Kozal (1943), polonais, évêque
B. Jacques Gapp (1943), autrichien, marianiste
B. Hélène Kafka (1943), autrichienne, religieuse
B. Bernard Lichtenberg (1943), allemand, prêtre
Bb. Antoine-Julien Nowowiejski, évêque, et 107 compagnons
(1939-1945), polonais, évêques, prêtres, religieux,
laïcs
B. Étienne Frelichowski (1945), polonais, prêtre
B. Charles Leisner (1945), allemand, prêtre
B. Marcel Callo (1945), français, laïque.
2. Martyrs de la persécution communiste
Ss. Cyrille Bertrand, passioniste et 9 compagnons (1934, 1937), espagnols,
religieux
Bb.227 espagnols (1936-1939), évêques, prêtres,
religieux, laïcs
Bb Adelaïde Mardosewicz et 10 compagnes (1943), polonaises, religieuses
B. Vincent Eugène Bossilkov (1952), bulgare, passioniste, évêque
B. Louis Stépinac (1960), croate, évêque
3. Martyrs au Mexique
Ss. Christophe Magallanes, prêtre et 24 compagnons (1915- 1927),
prêtres et laïcs, appelés "Cristeros"
B. Michel Augustin Pro (1927), jésuite
B. Élie Nieves (1928), augustin
4. Martyrs au Congo
B. Isidore Bakanja (1909), laïque
B. Anuarita Nengapeta (1964), religieuse
5. Martyrs en Chine
Ss. Grégoire Grassi, italien, franciscain, évêque,
et 87 compagnons (1990, 1930), chinois et européens, évêques,
religieux, laïcs
6. Martyrs en Thaïlande
Bb Philippe Siphong Onphitak, catéchiste, laïque et 6 femmes
(1940)
B. Nicolas Bunkerd Kitbamrung (1944), prêtre
7. Martyr en Papouasie-Nouvelle Guinée
B Pierre To Rot (1945), catéchiste, laïque.
8. Martyrs de la chasteté
S. Marie Goretti (1902), italienne, laïque
B. Caroline Kózka (1914), polonaise, laïque
B. Antoinette Mesina (1935), italienne, laïque
B. Thérèse Bracco (1944), italienne, laïque
B. Guillaume Apor (1945), hongrois, évêque
B. Piérine Morosini (1957), italienne, laïque.
On voit donc aisément qu'il y a
des représentants de tous les
continents, qui ont témoigné
le Fils de Dieu devant les hommes et d'ailleurs reconnus par lui-même
devant son Père (Mt.10, 32), en face de son Église et de
tous les peuples.
Avant
de terminer, je rappelle quelques pensées de Jean-Paul II dans l'homélie
pour la béatification de Marcel Callo, 4 octobre 1987 :
« L'épreuve
a mûri son amour personnel pour le Christ. De sa prison il écrit
à son frère récemment ordonné prêtre
: "Heureusement, il est un ami qui ne me quitte pas un seul instant, et
qui sait me soutenir et me consoler. Durant les heures pénibles
et accablantes, avec Lui on supporte tout. Combien je remercie le Christ
de m'avoir tracé le chemin que je suis en ce moment".
À
nous
tous, laïcs, religieux, prêtres ou évêques, il
relance l'appel universel à la sainteté ; une sainteté
et une jeunesse spirituelle dont notre vieux monde occidental a tant besoin
pour continuer d’annoncer l'Évangile à temps et à
contretemps ! » (Acta Ap. Sedis, 1988, 376).
Chacun
des martyrs que nous avons mentionnés peut nous adresser ces fortifiantes
paroles, car elles sont un programme de vie.
Fr Innocenzo Venchi, O.P., postulateur général
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